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Le calice aux serpents.



Une fois passée l’émotion des fantômes qu’elle revoyait assis au bar, rien ne l’atteignit plus.
En montant à l'étage, elle se dédoubla.
Elle remarqua aussitôt que l’ouverture à l’arrière du restaurant avait été occultée.

*   Le chat raffolait du grand lilas blanc. 
     Il l'empruntait chaque soir pour se perdre sur les toits du quartier.

Dans la salle à peine éclairée, elle posait lentement ses pas. Le lattis cliquetait par endroits et la ramenait à la réalité de ce qui la mettait en grand désarroi:
Sami s’était donné la mort. A Tunis.
Toutes ces heures, ici même, à marcher avec lui...

*   Où vont-elles ces âmes qui soudain se détachent de tout ?

Elle redescendit les escaliers mille fois empruntés.

En voyant qu'elle était pâle, il dit:
-  Il buvait beaucoup...
-  Ah...

Intrigué, il l'interroge:  
Mais enfin, d’où sors-tu, toi ? De ta cage ?
-  ...

Debout, un type chapeauté enfilait ses gants.
-   Tu te souviens de lui ?
-   Non...
-   Mais si, enfin, le libraire, qui habite un peu plus loin...
-   ...

Plus tard, il osa : j’ai gardé des choses de toi. Pourtant j’ai déménagé plusieurs fois.
***
Oh ! Nicolas, cher Nicolas.
Tout est si différent à présent.
Il y a des écrans d’ordinateurs fixés aux murs, une lumière basse, striée de rouge et de bleu, de vert parfois.
Et dieu, que la musique est mauvaise !

Dans ce lieu, autrefois (trente ans, déjà) surgissaient une vraie tendance, un goût certain.
La pertinence d’une conversation. Un voyageur du bout du monde. 
Un professeur de physique/chimie, au piano. Un sculpteur barbu, très marin, qui se noyait de verre en verre, des  voyous un peu notoires, un politique ou deux, des antiquaires, des filles étranges, et puis il y avait toi, Nicolas, toi...
Parti, aussi, comme Sami.


*  Oh, sortir d'ici. 
    Ne plus y revenir. 
    Passer par la ruelle qui mène à la place.

Dans la nuit, l'église du Sablon se découpe: éclairée, nette, élancée, sacrée, féminine, alchimique, gothique.