Pages

L'iguane.


Le soir s'imposa très vite,
comme il s'impose aux Antilles.

Lentement, elle bascula. 

Plus rien n'eut d'importance que son corps qui s'inscrivait sur le sable. 
Au-dessus, à la verticale, l’obscurité était devenue en ses points tellement scintillants qu’elle se sentit écrasée de tout ce qu’elle ignorait.

Sur le petit muret salé, à l’abri du bougainvillier mauve, le chat tacheté dévorait une souris minuscule. Il y plantait ses crocs, la dépiautait, crachait en secouant la tête le pelage tiède et doux qui l’étouffait.

À Petite Terre, posé sur une branche épineuse, l’iguane éclairé, se tenait lui aussi parfaitement immobile.


photo: Eric Jouaux





Wu.


Elle sonne, s’appuie dans l’entrée, et attend

    Caméra
    Reconnaissance

-   Il est trois heures du matin
-   Je sais
-   Tu as oublié le code ?
-   Oui
-   Je t’ouvre

    Ascenseur

-   La journée a été longue ?
-   On peut dire ça
-   Tu as maigri
-   …

-   Toujours avec J ?
-   Des fois oui, des fois non
-   Je commande des nouilles piquantes chez Wu ?
-   Si tu veux 
-   Raconte
-   Ma mère est morte
-   Ah ...
-   Tu es la seule qui sait le chagrin et la façon qu’il est d’être sans limite
-   …

-  Comment tu fais, toi ? Ce détachement, cette détermination ?
-  Je fais. C’est tout. J’avance
-  Moi, je ne peux pas. Je suis désespérée

Le livreur de Wu sonne
Il a sur son crâne rasé un drôle de petit chapeau noir en satin


    Bols 
    Baguettes

-   Mange, un peu
-   C’est difficile, l’odeur de sa mort
-   Fais un effort, on est tous morts au-dedans depuis le début, tu sais bien que c’est violent
-   Elle souffrait. Ils l’ont maintenue en vie. Ils ont refusé de lui donner de la morphine. Elle avait signé des papiers pour garder sa dignité. Personne n’en a tenu compte. Elle va me hanter jusqu’à mon dernier souffle

-   Elle te hantait déjà
-  Tu as raison, tout le monde hante tout le monde, tout le temps

-  Wu est toujours vivant ?
-  Mange.