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Nuit.


C'est là, derrière ses paupières, 
debout, froid et obscur.

L’Atlantide est dans la conque, pense-t-elle, énervée, 
la spirale dans l’ammonite,
l'Infini dans le Nombre.

La mémoire est insomniaque jusqu'à l’effroi, je sais.

* Tu te souviens de la framboise velue ? 
   Des petits grains à l’intérieur ? 

   Du coton froissé de ta robe ? 

C’est là que tu es, dans le jardin fleuri du grand-père.
Tes souliers vernis ont pris la poussière du sentier.

La piqûre de l’abeille t’arrache un cri aigu.

Mais là n'est pas la véritable douleur. 
Elle est ailleurs,
dans l'horreur,
ancrée à l'intérieur.


 
***



Mado.


Il traînait, s'attardait, se faufilait, évitait les photographes qui se pressaient, s'agaçait des commentaires, s'ennuyait, flânait, retournait au bar, raflait un autre verre, et repartait aussitôt se perdre dans la galerie.
Il croisait des tailleurs bien coupés, des visages liftés, des rires exagérés.
Seigneur, pensa-t-il, elles finiront toutes par se ressembler.

Une force à laquelle il ne résista plus l'amena, un peu titubant, vers la petite salle adjacente. Il se planta devant le nu glacé. Il 
reconnut aussitôt la façon qu'il avait à l'époque de crayonner nerveusement certains corps en les désassemblant.
Celui-là, particulièrement déstructuré, le bouleversa à nouveau.

 
Il s’approcha, chercha sa signature, la date.
1967/Mado debout

Lui revenaient en mémoire d'autres esquisses. Mado faussement alanguie. Mado ivre de vin de Bordeaux. Mado assise sagement, les yeux dilatés, dessous sa frange sombre et épaisse coupée droit au ras des sourcils. Mado, éperdument amoureuse, si étrangement blanche et diaphane qu’elle en effrayait ses parents. Mado un peu chinoise, qui posait nue, maigre et frigorifiée dans le grenier qui leur servait d'atelier.

Il se tira en arrière, se revit jeune, hirsute, barbu, insomniaque, survolté, revanchard, volubile, cruel.

Mado debout. Mado couchée. Mado assise. Mado maso. Mado hystérique. Mado soumise. Mado outrageusement dénudée. Mado accroupie, indécente. Mado énervée. Mado apaisée. Mado désespérée. Mado hurlante. Mado opiacée. Mado violentée.
Mado hallucinée. Mado dévastée. 
Mado qui se défenestre.

D'un trait, il vida son verre.

Au bar, il retrouva Paul, son agent parfumé/sucré. Son amant quelquefois, qui se ruinait en implants capillaires, et se gavait avec avidité de petits fours au crabe, et de critiques bassement assassines.




*