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鴉片


Sans doute ne vous reverrais-je jamais. 
Peut-être même à ce jour êtes-vous passé de l'autre côté.

Qui, dans mon entourage, pourrait imaginer que vous marchez encore, après tout ce temps, dans ma pauvre cervelle ? 
Le monde vous a oublié, sauf moi, qui vous convoque aux souvenirs, lorsque les grands chagrins de toujours me dépassent. 
Vous revenez alors, et à nouveau redevenez tout ce que vous représentiez : 
la route, l'errance, la difficulté, l'énigme, le talent, le temps, les fulgurances, la désespérance, l'illusion, ou l'enivrante idée de n'exister que pour l'Art.

Dans ces rues que nous arpentions, même au plus fort de la pluie, votre claudication devenait mienne, et vos propos, quasi tous, me laissaient délirante et sans voix. Et, lorsque votre respiration se faisait plus rauque encore, je vous laissais, désemparée, à vos démons et vos chants, car vous fumiez, cher fou, depuis longtemps, de l'opium débarqué aux ports où des jonques accostaient.
Dissimulée dans un chaos de verdure invraisemblable, il y avait, (existe-t-elle encore ?), une demeure grise, très bourgeoise, où vous alliez souvent, et où vous m'entraîniez quand l'horreur du présent m'anéantissait. Les tapis épais qui nous servaient de couches n'avaient en elles-mêmes rien de bien confortable, mais il suffisait de respirer là, l'odeur étouffée des rêves, et de voir s'avancer vers nous le petit asiatique silencieux, pour que vos pensées comme les miennes, s’en aillent s'égarer aux confins de l'Ailleurs.

Et quand bien même nous en sortions, la tête et le corps endoloris, nous y retournions quand même, moi, moins souvent que vous, pour retrouver, allongés sur le côté, nos âmes et nos rêves attachés, qui restaient à flotter dans l'air, pour mieux ensemble, s'insinuer en nous. 


Le bruit de vous aujourd'hui m'obsède. 
Votre rire surtout. 
Rare,
énorme, fou,
assourdissant.

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