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Ombilic nombril.




C'est le milieu du Secret
le mystère qu'on porte tous
le trou dans le ventre
l'Origine
c'est la trace du cordon, du tube relieur, du cathéter de l'amnios
le vestige de la séparation
la cicatrice indélébile
le point sombre de la rupture
le sceau de la naissance
le replis de l'existence
l'amnésie totale
l'aspiration
l'expulsion
la répulsion
c'est l'air glacé qui s'engouffre
l'alvéolaire déchirure
l'effroi et le grand Hurlement


vénus de Malte

***
                                                                    
                                                         


LOST.



03:20
Rapport/
Service des personnes disparues


ELLE:
Aidez-moi, je vous en supplie. Je me cherche partout. Voilà des jours que je ne me suis pas vue. Je m'inquiète beaucoup. Je ne sais plus où je suis. Il faut absolument que je sache ce que je suis devenue. J'ai froid tout le temps. Je me suis probablement suicidée. Il y a de l’eau gelée dans mes yeux et beaucoup de Bourbon dans ma bouche. Je suis sans doute morte, là-bas, en tombant dans les eaux glacées du torrent de Poët-Sigillat.

LUI:
Ce n'est rien. Ça arrive tout le temps. Des tas de gens s'absentent.
Vous n'êtes pas morte. Asseyez-vous.
 
ELLE:
Je suis morte, je vous dis ! Je ne sens plus rien ! Mon sang ne circule plus !
Je vois à l’intérieur des gens. Je ne comprends pas ce qu’ils disent. Je vous en prie, dites-moi où je suis morte. 


Excédé, quelqu'un crie: 
Faites la taire ! Enfermez-la ! Ou alors, sortez-la ! Vous ne voyez donc pas qu’elle déraisonne, qu’elle ne sait plus ce qu’elle dit ! On la connaît ! On la voit souvent errer du côté de l’abîme ! Elle y chante des mots interdits, porte des grandes jupes blanches et soudain se met à tourner. Elle tourne, je vous dis, elle tourne, elle n'arrête pas de tourner, comme un derviche possédé ! (et il faisait des grands gestes énervés.)

Elle, crie à son tour: 
Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? C'est ma façon ! Ma façon à moi d'affronter les tourments, de regarder la Nuit et le Temps. Aux grandes marées, on m’entend jusqu'en Chine ! Et alors ? Et alors ?


Vous voyez commissaire, vous voyez, répétait l'autre, elle délire ! 
Elle dit qu’elle connaît la Boudeuse, et aussi l’Astrobale. Elle dit qu’elle marchait aux côtés de Kerouac, qu'elle parlait à Lowry, qu'elle fumait avec Marquez l’élixir des pavots trafiqués ! Elle dit qu'elle se tenait derrière Phédon quand Socrate but la ciguë. Elle hurle que les hommes sont cruels. Elle jure qu'elle tuera les déviants, qu'elle veut sentir l’odeur de leurs corps pourrissants !

Elle dit qu’au temps des Pharaons, elle gravait dans la pierre des ibis, qu’elle servait en personne Anubis. Qu'elle aimait avec lui accompagner les défunts. Elle dit que mourir ça n’est rien, que le voyage est beau quand le Nil se perd aux confins de l'AilleursElle chuchote qu’elle intriguait dans les couloirs, qu’elle tramait dans les palais des complots politiques, qu'elle frôlait des passeurs glacés, qu’elle portait sans vergogne des bijoux dérobés, qu'avant, sous les perruques poudrées, les crânes, chaque jour, étaient rasés.

Elle dit que les amis trahissent.

Regardez commissaire, voyez comme elle s’enlace, comme elle dépose son front brûlant sur le marbre veiné.

Écoutez-la, elle se lamente.
Elle dit que la rumeur des camps la hante.

Elle dit que depuis qu’elle est née, elle marche entravée. 
Que la plus belle victoire, c'est se défaire de soi.

 
***