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La salamandre.



Pourquoi était-ce si grave, si obsédant, cette manière de vieux que l’âge conférait à son allure ?
La lucidité d’elle-même la terrifiait.
Cette façon qu'elle remarquait dans sa mouvance.
L’essoufflement parfois. 
L’hésitation dans la conversation.  
Le regard bienveillant qu'elle posait à présent sur des enfants, dans la rue.

* Il n’y a pas que le corps qui se déglingue, pensa-t-elle, il y a mon âme aussi, la mémoire d’hier.

L’idée d'en finir la tira vers le haut.
Elle se détacha. 
La salamandre tatouée, réanimée par le vent froid, se glissa dans son cou.

Penche-toi, souffla-t-elle, regarde en bas. C'est toi qui somnambules dans un couloir à trois heures du matin. 
Regarde bien. 
Tu pensais y échapper, au délabrement ? 
Ne remets pas à plus tard ce que tu peux encore décider.
Penses-y. Enfin morte tu te décomposerais, en gonflant juste un peu avant que le feu ne t'embrase...
Oh, bien sûr, tu pourrais dans un dernier sursaut de résilience, livrer ton corps à la science. Tu serais séparée alors, désassemblée, désarticulée, découpée, formolée, immergée dans des bocaux.

Un organisme est un processus qui se défait, même s'il donne l'illusion aux temps forts de sa vie que rien ne l'atteindra. Il pourra toujours se rebeller, tenter de briller avec désinvolture, rire fort, crier, prier, supplier, se sublimer,  rien n'écartera de lui la déchéance. 
Regarde, ta peau n'est déjà plus ta peau.

*
Un autre vent de glace pénétra la salamandre qui aussitôt se replaça sur l'Atlas.

***

Comment font les autres, pensa-t-elle, pour ne pas sombrer dans la folie ?