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Rituels.



La lumière blafarde du frigidaire lui faisait comme un masque.
Aucune notion de satiété ne surgissait. 
Aucun dégoût.
Son estomac ne se rebiffait pas. 
Il prenait tout ce qui se présentait: salé, sucré, acide. 
Il absorbait, tassait, se dilatait, se distendait au fur et à mesure.


Brusquement, elle jeta la fourchette dans l’évier, tira le tabouret de dessous la table, et se posa.


Aucun sentiment ne l’habitait. 
La culpabilité viendrait plus tard, lorsqu'elle soulèverait la lunette des toilettes pour restituer l’entièreté de ce qu'elle venait d’ingurgiter.


Elle entendit sa mère se lamenter derrière la porte: 
-  Tu as recommencé, tu avais promis...


***  Oh, mais qu'elle se taise. 
        Qu'elle se taise... 


Avant de s’enfoncer les doigts dans la bouche, elle dit simplement:
-  Va t’en, ce n’est pas ta faute.

Ensuite, elle se pencha et son corps tout entier se souleva par trois fois.                  


*  Se brosser les dents, quatre fois.
*  Se laver les mains, huit fois. 
*  Se peser, nue.
*  Noter.


*  Enfiler le gros chandail vert amande, et par-dessus, l'autre, le noir.
*  Calmer les tremblements.
*  Pour cela, se bercer de gauche à droite, d'avant en arrière, en alternant, cent fois


       -  Demain, jeûner.
       -  Et puis, danser.
       -  Danser. Danser.
       -  Neuf heures. 
       -  Non, dix.




Pina Bausch