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Fruits.


L’odeur pénétrante des jardins saturés de chaleur l’amena progressivement au bord du vertige.
Elle se dédoubla.
Tandis qu’une partie d’elle-même se précipitait dans le vide en laissant à son teint une blancheur à faire peur, une autre obstinément restait affûtée à la rumeur du présent.

* Elle pensa que mourir à moitié lui ressemblait assez.

La migraine s’enroula.

Elle sombra dans une sorte d’oubli lancinant. Des visions lui arrivèrent, de plus en plus saccadées. Un plan cependant, unique et sanglant, s’imposa plus longtemps, qui lui rappela la cruauté des guerres au Japon. Distinctement, elle vit un homme agenouillé. L’abdomen plusieurs fois ceint d'une même bande de tissu, il s'ôtait la vie dans un parfait seppukuLe regard halluciné, il enfonçait d'un coup sec le tanto de son ancêtre, et comme lui s’éventrait pour l’honneur.

Un fort vent de pluie s’engouffra dans la tenture de la pièce. Il renversa le grand papyrus. L’eau se répandit sur le kilim élimé. 
Son trouble s'accentua. 

* Les fruits de l'été vont se gâcher, pensa-t-elle, on ne pourra pas cette année en mettre beaucoup dans l’eau de vie. 

Elle délirait, dérivait, se revoyait petite, implorait sa grand-mère.  

Chère toi, s'entendit-elle gémir, chère toi, 
les fruits du verger vont encore s'arracher 


Nakar Bilyk