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Le caillou vert.


L’eau stagnait dans la mare, et de cet endroit devenu à la longue cloaque, se dégageait une puanteur douceâtre où croupissaient des végétaux en décomposition, des rongeurs morts, des oiseaux épuisés.
Elle se pencha, et commença à fouiller. La vieille rame dont elle se servait s’empêtrait dans les algues; quelques têtards agités firent surface dans des remous vaseux.

*  Tout ce temps, pensa-t-elle, tout ce temps pour le perdre ici. 

C’était un caillou vert, très doux, un peu triangulaire, assez épais, échoué une nuit de grande houle. Il tenait bien dans la main, se glissait partout, dans la poche ou sous l’oreiller. C’était un caillou de toujours, un bijou de sirène, un minéral érodé qui s’était échoué lors d’une sacrée marée.

*  Tout ce temps.

Le bruit lui revenait des récifs dévastés, des vents dominants, de l’appesantissement d’après, du silence étourdissant.

Le perdre, c’était se perdre, se mener à rien.

*  Tout ce temps à déblayer la plage ravinée. Tout ce temps à se blesser les chevilles dans les débris des tôles arrachées, des acacias épineux. Tout ce temps à s’éreinter sur l'île, et puis soudain ce caillou, vert, qui dans un foutoir invraisemblable s’inscrivait là, sur le sable souillé. C'était comme une consolation, une joie, un peu de beauté retrouvée.

Elle implorait, s'acharnait, remuait. L'humidité pénétrait sa robe, sa chair, ses os. Des nuées de moucherons lui piquaient les bras, les jambes, lui rentraient dans les yeux, le nez, les oreilles.

  *  Tout ce temps ...

C'était son caillou. Son caillou vert de l'île.
Il savait des secrets, des chemins, des courants de mer, des grottes et des passages, des palétuviers, des limules archaïques, des iguanes, des requins dormeurs, des gorgones, des murènes voraces, des éponges magnifiques.




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