
Il se mit à convulser et sa tête plusieurs fois heurta le chambranle de la porte.
Dans la pièce du fond, le portable se mit à sonner. Nom de dieu, pensa-t-il, je l’ai laissé là-bas.
Il se mordit la langue, et surpris goûta au sang qui se répandait dans sa bouche.
*
Quelques semaines auparavant, il avait pris sa décision. Il avait signé un tas de documents, refusé tout compromis, et un taxi l’avait ramené dans la capitale.
Il n’avait pas attendu longtemps pour se remettre à boire. Le soir même, il déboulait au "Blue Note". Il y avait retrouvé tous ceux qu'il aimait : le rasta quarteron aux yeux clairs, le barbu à la contrebasse rouge, le batteur qui donnait cours à l’Académie, le barman mélomane, la belle Claire, le couple d’homosexuels italiens, les jumeaux clarinettistes, le bassiste névrosé, le tapeur de clopes, l'antiquaire fortunée, l’irrésistible et très bavard comédien français, le petit chauve qui swinguait comme un fou, et puis, assise près du piano, il y avait elle, elle qui fumait des petits cigares épicés. Elle si rousse, si frisée, si potelée, si chanteuse, si laiteuse.
Tard dans la nuit, il l'avait enlacée.
Depuis, ils n’arrêtaient plus de se regarder.
Très vite, il avait su qu'il l'emmènerait à Goa. C'est là qu'il était né. Là qu'il avait grandi. Là qu'il voulait écrire, encore.
C'est pour cela qu'il était passé à l’appartement. Pour prendre quelques affaires et récupérer ses derniers enregistrements.
Il lui offrirait tout. Ses notes raturées dix mille fois. Sa musique. Il lui laisserait les pierres de la maison natale, les théières en argent, les tapis de Jaipur, l'odeur du curcuma dans la cuisine, la terrasse fleurie orientée au couchant, qui surplombe à pic, la mer d'Arabie.
Elle était sa magnifique, sa délicieuse, sa très précieuse, son incroyable, son adorable.
Le matin même, vautré à même les draps, il avait souri en devinant le chat qui le zieutait fixement.
Le matin même, vautré à même les draps, il avait souri en devinant le chat qui le zieutait fixement.
- Je vais nous faire du thé
Il l'avait embrassée
- Demande donc en passant à ce matou d’arrêter de me mater.
Elle s'était levée en riant.
Il était en train de tout rassembler quand la douleur dans l’épaule s’était intensifiée. L’étau dans sa poitrine l’avait cloué sur place.
Il s’était assis par terre et répétait: oh non pas maintenant, pas maintenant.
Il n’arrivait pas à se mettre debout. Il était en sueur. Il serait en retard au vernissage. Elle allait l’attendre.
C’est à peine s’il remua quand la porte céda sous les coups. Il perçut juste une présence, une chevelure flamboyante penchée, son parfum ambré, puis s’étonna qu'elle portât des bottines noires avec des lacets rouges.
Il ne sentit pas qu’on le soulevait, qu'on l’emmenait, ni qu'elle le suppliait.
Il avait dans les narines quelque chose qui l'empêchait de respirer.
Après, il ne se sait plus.
**
Elle gisait sur une plage, du côté d'Anjuna. Ses orbites étaient évidées, sa bouche grouillait de petits crabes. En même temps que le vent emmêlait sa rousseur, le voile de son sari se soulevait, découvrant ses hanches ensablées, qu'elle avait blanches, banches, si blanches.
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Jean Lecomte du Noüy 1888 |
गोंय