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La lettre.



Vous êtes venu sonner chez moi l’autre midi, et au cas où je ne serais pas là, vous aviez écrit une lettre.
Je venais à peine de me lever, aussi vous ai-je fait patienter, le temps de lâcher le très bel "Alabama Song" de Gilles Leroy, qui depuis deux jours occupait mes pensées. 

J'ai déposé devant vous une bouteille de vin débouché de la nuit, et d'un air amusé je vous ai demandé quel vent soufflait dehors pour que vous atterrissiez soudain, là, sous mon nez, dans une pièce bien en désordre. 

Votre chemise était très blanche et vous portiez "Habit Rouge". 

Vous avez dû penser, ou supposer que votre mise me séduirait.
Seulement voilà: rien ne s’est passé.
Je suis restée froide comme une salamandre.

Décontenancé que je ne vous saute au cou, vous m’avez alors tendu votre lettre 
-  Le mieux est que tu la lises...
Lâche ! Oh, lâche ! Je vous déteste pour ce geste ! J’ai eu honte pour vous ! 
Cette lettre était truffée d’affligeants clichés ! Elle ne comportait aucune proposition crédible. Elle parlait même de malédiction. Elle n’était en rien souriante et légère. Bien au contraire, vous y tourniez autour de vous-même, plus narcissique et prétentieux que jamais. Vous y commettiez des fautes, et vos tournures de phrases se révélaient indignes du professeur de français que vous aviez été. - Ce qui me donna à penser que vous n’aviez pas pris grand soin à les taper ces mots-là, décidément d’une consternante banalité. -


Je ne regrette pas vous avoir, au bout de vingt minutes, éconduit et reconduit.
Vous m’avez tant manqué de respect par le passé, vous vous êtes tant amusé à me tenir au bout du fil, que bien avant que vous ne re surgissiez dans ma vie, je savais que je ne vous laisserais plus tenter quoi que ce soit de cruel à mon encontre.


Quand vous avez compris que rien n’y ferait, que je ne reviendrais pas sur ma décision, vous avez en soupirant repoussé sur la table votre lettre que je vous avais rendue. Elle y est restée, repliée sur elle-même jusqu'à ce soir, où je la relis une dernière fois avant de la ranger, de l’oublier ou plus radicalement peut-être de m'en débarrasser.

* Je crois que vous ne me manquerez pas.

D’ailleurs je ne sens rien venir de la sorte, je ne suis pas plus seule, ni moins désemparée que je ne l'étais déjà.



ल लेत्त्रे