Très pâle, il ramassa et porta à sa bouche l'écharpe en
coton froissé qu’elle avait abandonnée sur le kilim élimé. Il ne se sentait pas grotesque, ni même pathétique à la
respirer fort, car elle était là toute entière, présente et ambrée, dans l’étoffe.
Un vertige le tira vers le haut. Il s’allongea sur le plancher lambrissé. Pour
calmer son tremblement intérieur, il fixa les rais de lumière au plafond, et s’appliqua
à se détacher de tout. Son intuition ne l’avait pas trompé : il était à
peine surpris de retrouver l’appartement déserté. Le chat abyssin, lui aussi, avait disparu.
Il se remit doucement debout, chercha en vain une lettre, rafla sur le petit bureau une
bouteille de bourbon entamé, et se mit à fumer, les uns derrière les autres, des cigarillos ramenés de Vega Fina.
* Oh, les mots qu’elle murmurait, la salive sur ses dents brillantes, le
chignon bas, un peu défait sur sa nuque blanche, cette façon qu’elle avait eu
de se placer devant la fenêtre à la tombée de la nuit, et cette façon, si délicate, qu'elle avait eu de s'offrir en penchant lentement la tête
sur le côté *
Avant de quitter l'immeuble, alors qu'il nouait pardessus l'encolure de sa veste l'écharpe odorante, il se surprit à sourire.
* Elle avait, cruelle et impatiente, laissé dans son cou veineux, la trace profonde d'une
petite morsure.
La métamorphose du vampire Les Fleurs du Mal Baudelaire |