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鸦片


Une femme en sarong blanc glisse ses pieds nus sur les dalles de l'entrée, longe le bassin rectangulaire, et pénètre des îlots de verdure. 
Elle apporte le thé fumant, le bol.
Sur la terrasse envahie de bambous humides, la lumière se fait basse, un gecko léopard disparaît dans une jarre.

青瓷

L'homme est assis. 
Il crayonne des notes, reproduit des signes.
Quand la moiteur se fait trop pénétrante, il se lève, cueille son chapeau clair et descend au bar climatisé de l'hôtel. 
Là, il s'attarde, s'enivre, tangue un peu, parle anglais, salue le vieux pianiste français.
"Unforgettable, that's what you are"
Il lui sourit et discrètement lève son verre.

Tard dans la nuit, il retrouve l'intimité de sa chambre, le bruit familier du ventilateur au plafond et derrière la paroi en pierre noire, la fraîcheur de l'eau sur sa peau. 

Que cherche-t-il ici qu'il n'est déjà allé chercher ailleurs ? 
Marcher au nord du Tonlé Sap lui rendra-t-il l'amour de lui-même ?

L'insomnie le taraude. 
Il revoit le sédiment archaïque, à la pointe de la belle Apsara du temple d’Angkor Vat.

Il s'habille.
Sort. 
Hèle un taxi.

Dans une ruelle étroite, il pousse une porte en bois, traverse une cour pavée, soulève un épais rideau de coton brodé. 
Là, il ôte son veston froissé, le tend à l'asiatique silencieux, s'allonge sur un lit étroit et sent confusément qu'on lui glisse, sous la nuque, un oreiller fait de soie et d'ivoire.


鸦片


Chaque instant du temps est un lieu où on ne revient pas. 
   Le regret se disperse. 
   La remorsure n'existe plus."

  

(Dernier Royaume/

Pascal Quignard)