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La mélancolie de l'huître.

A la table voisine, un homme est assis. 
Sous le costume griffé, son corps et sont âme semblent délabrés. 
Il a le teint glabre. 
Il est étrange et lent.
Il mange des huîtres. 
Méticuleusement penché, il détache de la nacre la dernière 'fine de claire' qui se dérobe un peu.

* Ouverte, salée, absolument  visqueuse et iodée, hier encore elle filtrait la lumière.

Il la gobe.
L’odeur de mer s’engouffre dans ses narines et vient en glissant se fracasser dans sa bouche. Tout entier au plaisir du goût, le regard de l'homme s’embrume, puis se perd dans l’agitation de l’endroit. 
D'un trait il vide son verre de Chablis, repousse avec précaution son assiette et tout en observant les coquilles évidées, il touche du bout de l’index l’algue gluante qui se noie dans la glace. Il se lève ensuite, survole du regard la salle bruyante, dépose dans la soucoupe un billet à peine froissé et sans demander son reste se dirige vers la patère commune. Là, il décroche son manteau, retrouve dans sa manche une écharpe de soie imprimée et tout en s'habillant, saisit son chapeau.

C’est à cet instant, à cet instant précis du geste, que je revis mon père. 

La Quincaillerie