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PIERRE

L’ombre du tilleul nettement découpée, portée en plein après-midi sur les volets qu’il fallait repeindre, tu t’en souviens ?
Du vent tiède et soutenu qui couchait les graminées blondes du pré d'à coté ?
Du vin peu charpenté dont on a
busait les après-midi de beau temps ? 
Dieu, que c’était bien ! 
Et Sami qui riait tant qu’il en était tombé de sa chaise ? 
Et Mado, volubile et nerveuse, au dessert, qui se gavait de myrtilles, et se tâchait les doigts et la bouche ?

* Beau, il était beau, de n’importe quelle manière qu’il se tenait.

Toi aussi tu le regardais.  
On le regardait tous. 
Tu le trouvais maigre oui, un peu. 

Tu te souviens de cette façon qu'il avait à délicieusement se moquer de tout ? 
Il était fantasque, exubérant parfois, mais il restait élégant, même quand il vacillait un peu. On s'étonnait à le voir déambuler, l'air de rien, à se mettre à danser quand la musique lui plaisait, à embrasser le chien qui le suivait partout, à renverser son verre, de s’en excuser, et à le remplir à nouveau. 

Tu te souviens de ce sourire qui nous désarmait quand la lumière déclinait et que tout devenait orangé et doux ? 

Tu te souviens de Pierre ?